Le TASS va disparaître

Synthese

 

Par lettre du 19 août 2015, la ministre de la justice et la ministre des affaires sociales, dela santé et des droits des femmes ont mandatél’IGSJ et l’IGAS pour effectuer une mission d’appui au projet de transfert du contentieuxdes TASS (contentieux général de la sécurité sociale), des TCI (contentieux technique de l’incapacité) et d’une partie des CDAS (contentieux de l’aide sociale) vers les nouveaux pôles sociaux des TGI.
Ce transfert doit permettre de mettre fin au caractère hybride de ces juridictions, présidéespar des magistrats judiciaires relevant du ministère de la justice, mais dont le secrétariat est assuré par des agents issus des caisses de sécurité sociale ou du ministère des affaires sociales.
La mission, sans revenir sur l’objet de la réforme visant à mettre un terme à cette hiérarchie, déjà largement documenté, dresse dans un premier temps un des lieux détaillé et actualisé de la situation de ces juridictions qui met en exergue leurs difficultés de fonctionnement.
On observe en particulier une hausse des stocks d’affaires qui, même si elle concerne essentiellement les TASS, est préoccupante, le nombre d’affaires en cours étant passé dans cesjuridictions de 119 000 en 2010 à 166 000 en 2014, soit une hausse de plus de 39 % pour des stocks nécessitant deux ans d’activité pour être résorbés
Cet accroissement des stocks ne s’explique pas par une hausse du nombre d’affaires nouvelles qui apparaît relativement stable en période longue, autour de 150 000 dossiers par an pour les TASS et les TCI.

Il s’explique par une combinaison de difficultés, variable selon les juridictions, mêlant :

  •  une absence de pilotage ;
  •  des difficultés de gestion du régime social des indépendants (RSI) qui contribuent à emboliser les juridictions ;
  •  des procédures inadaptées ;
  • un manque de personnels, y compris de magistrats.

 

La baisse des effectifs concerne surtout les agents des TCI qui sont passés de 222 à 192 ETP entre 2007 et 2014, tandis que le personnel des TASS est resté plus stable, passant de 359 à 349 ETP sur la même période. En tout état de cause, ces baisses peuvent être ressenties durement par les agents dans la mesure où elles concernent des petites structures (68 TASS sur 115 ont, au plus, 2 ETP).Le nombre d’ETP de magistrats en exercice affecté aux TASS s’élève à 60 en 2014. Il estrelativement stable et apparaît chroniquement insuffisant pour couvrir les besoins des juridictions sociales, même si des magistrats honoraires ou des personnalités qualifiées permettent de pallier en partie ces insuffisances.
La perspective du transfert du contentieux des juridictions sociales vers le ministère de la justice se traduit par une inquiétude forte des personnels, qui ne bénéficient à ce stade d’aucune information précise sur la possibilité de rejoindre le ministère de la justice ou de réintégrer leurs structures d’origine.
Les moyens de fonctionnement apparaissent en revanche correctement calibrés même si la mission a pu relever, d’une part, le caractère vétuste et inadapté de certains locaux, d’autre part, l’absence de solution informatique performante.
Au total, le montant des dépenses consacrées aux juridictions sociales s’élève à 46 M€, y compris les dépenses de personnel (d’un montant de 36 M€ en incluant les indemnités versées aux assesseurs). Après avoir montré la fragilité de ces juridictions, la mission propose un schéma de transfert d’ensemble vers les pôles sociaux des TGI.
Au plan méthodologique, la mission s’est appuyée sur un groupe de travail interministériel réunissant l’ensemble des directions concernées pour élaborer un scénario partagé.

Elle s’est également fondée sur des principes structurants permettant de guider ses
travaux:

  •  être à tout moment vigilant quant à l’acceptabilité sociale de la réforme, compte tenu de la complexité inhérente au transfert d’agents provenant pour leur grande majorité du secteur privé
  • garantir la plus grande neutralité budgétaire possible, notamment en évitant le fonctionnement en doublon de deux juridictions pendant la période transitoire ;
  • faire de la réforme un levier pour l’amélioration du service public de la justice en matière de contentieux social.

 

Dans ce cadre, elle a fait le choix de ne pas retenir un scénario de transfert séparé des stocks et des flux d’affaires consistant à affecter les personnels actuellement en fonction dans les juridictions sociales à l’extinction des stocks tandis que des agentsnouvellement recrutés par le ministère de la justice auraient pris en charge les nouveaux dossiers. Un tel schéma, outre son coût, risquait de priver les agents des TASS et des TCI de tout débouché professionnel.La mission propose d’opérer un transfert en une seule fois, au premier janvier 2019, tant de l’activité que des personnels, vers les pôles sociaux.

Pour y parvenir, elle considère qu’il est nécessaire d’utiliser au mieux le calendrier en déclinant trois phases :

Préparation active 2016-2018
La première étape, qui commence dès à présent court jusqu’au 31 décembre 2018, est consacrée essentiellement à la résorption des stocks accumulés dans les TASS, impulsée et suivie par un comité de pilotage national et des comités locaux, sachant que le groupe de travail a fixé à un an d’activité, soit environ 100 000 dossiers, le stock maximal avant transfert.
Elle permet également de préparer dans debonnes conditions le transfert de moyens de fonctionnement, notamment immobiliers et informatiques.
Elle doit aussi permettre d’organiser dans les meilleurs délais une communication à l’attention de l’ensemble des acteurs visant à expliciter les objectifs de la réforme et les modalités de mise en œuvre, en particulier les possibilités d’intégration au sein du ministère de la justice et de retour dans les structures d’origine.

Période transitoire 2019-2020
La deuxième étape, qui débute le 1er janvier 2019 et se poursuit jusqu’à la fin 2020, marque la naissance des pôles sociaux et se traduit par deux événements concomitants dont la bonne articulation constitue un enjeu fort :

  • transfert des agents et du contentieux du ministère des affaires sociales vers le ministère de la justice ;
  • entrée en vigueur des nouvelles procédures.

Pendant ces deux années, l’ensemble des agents, jusque-là affectés dans les TASS et les TCI, sont mis à disposition des pôles sociaux des TGI.

Stabilisation de l’activité et des personnels 2021-2026
La troisième phase se met en place à partir de 2021. Elle doit permettre de rompre les derniers liens entre les nouvelles juridictions et la sécurité sociale. La transition du statut des personnels doit être progressive afin d’éviter tout retour massif des personnels vers les affairessociales qui ne présenterait que des inconvénients: les administrations devraient réintégrer en surnombre des personnels dans le même temps où l’administration de la justice devrait recruter et former de nouveaux greffiers.
Dans ce cadre, la mission propose que les agents des caisses et fonctionnaires se voient offrir des passerelles permettant de se porter candidats aux emplois de greffier ou d’adjoint administratif des services judiciaires. Elle préconise également de prolonger les possibilités de mise à disposition des agents jusqu’en 2026, compte tenu de l’importance des départs en retraite qui devraient intervenir durant cette période.
Enfin, au-delà de ce schéma de transfert,la mission formule plusieurs recommandations qui doivent permettre aux pôles sociaux d’offrir une justice de qualité,
proche des citoyens.
S’agissant de la cartographie des pôles sociaux, le projet de loi J21 prévoit de créer au moins un pôle par département. La question de réserver la compétence en matière de contentieux technique à quelques pôles régionaux a été soulevée, mais la mission préconise de privilégier les objectifs de lisibilité et d’accessibilité de la justice en départementalisant ce contentieux, même s’il est actuellement traité l’échelon régional. De même, la mission préconise de ne pas précipiter la fusion des TASS infra départementaux, au nombre de 12, sauf pour quelques cas bien identifiés, caractérisés par une faible activité et des effectifs inférieurs à deux ETP.
S’agissant de la composition des formations de jugement au sein des pôles sociaux, la mission considère que l’échevinage doit être maintenu et qu’il existe un intérêt réel à permettre aux magistrats honoraires de continuer à présider ces formations.

Par ailleurs, la mission estime indispensable d’harmoniser des procédures qui sont aujourd’hui très disparates :

  • Il conviendrait, en premier lieu, en amont de la phase judiciaire, de généraliser et d’harmoniser le recours gracieux préalable . La diversité des modes amiables de règlement des conflits rend actuellement le système peu lisible. Les exigences de rationalité et d’efficacité pour le justiciable conduisent la mission à préconiser la généralisation d’un recours obligatoire amiable (ROA) préalable aux procédures contentieuses relevant des pôles sociaux. Ce ROA serait étendu et adapté au contentieux technique, en créant un recours médical préalable, qui devrait être de nature à répondre aux demandes des requérants qui portent essentiellement sur un nouvel examen médical du degré d’incapacité, et qui en conséquence pourrait réduire sensiblement les recours contentieux.
  • En second lieu, les principes directeurs du procès doivent préserver un accès simplifié et peu coûteux au juge, notamment en conservant l’oralité des débats et l’absence de représentation obligatoire par avocat des parties, en première instance. En outre, la mission se prononce sur l’avenir de deux juridictions spécifiques : les CDAS d’une part ; la CNITAAT d’autre part.