Quel sera le sort des ARS ?

DIVORCE entre ville et hôpital ?

 

La mise en place au 1er juillet des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) signifie la disparition des Agences régionales de santé en tant que pilote de l’organisation territoriale de la santé. Créées par la droite, enterrées par la gauche, les ARS n’ont jamais eu les moyens de leurs objectifs. Mais leur disparition – même virtuelle – signifie l’absence de volonté d’avoir une approche globale de la santé, alors qu’il n’a jamais été autant question de médecine en réseau et de parcours de soins coordonnés.

Explications

Inaugurant la Parishealthcareweek et intervenant pour la dernière fois à Hôpital Expo, mardi 24 mai, Marisol Touraine s’est livrée à un bilan en forme de plaidoyer pro domo de son action depuis 2012 sur le terrain hospitalier et a dénoncé, à demi-mots, les projets des candidats -potentiels ou déclarés – de l’opposition à l’élection présidentielle de 2017.
Le point d’orgue de son intervention a été le service après-vente de la loi santé qui porte son nom. Selon la ministre, avec ce texte, un avenir radieux s’ouvre pour les hôpitaux, par la vertu magique des GHT, les groupements hospitaliers de territoire qui vont se mettre en place le 1er juillet prochain.
Articulés autour d’un hôpital-pivot, les établissements hospitaliers, ainsi associés, vont pouvoir développer des projets stratégiques et médicaux territoriaux coordonnés, avoir une gestion performante, notamment par une politique d’achat commune et organiser le parcours de soins hospitalier des patients, grâce à un système d’information unique.
L’idée de coordonner les hôpitaux à l’échelle des territoires et d’avoir une politique régionale n’a rien de nouveau. Elle est même presque aussi ancienne que le système hospitalier moderne. C’était un enjeu implicite de la loi de 1970 dont l’objet, avec la carte sanitaire, était de mettre un peu d’ordre dans un système qui se développait de manière incontrôlée.

Recyclage

C’était un objectif explicite de la réforme de Claude Evin, ministre de la santé dans les années 90, qui créa les Schémas régionaux d’organisation sanitaire afin de coordonner les acteurs sanitaires et en particulier les hôpitaux. L’idée était encore plus explicite avec la création, en 1996, des Agences régionales hospitalières à la tête desquelles étaient placés des « préfets hospitaliers » chargés de mettre un terme à la confusion des missions et des activités des hôpitaux de leur territoire. Elle a été reprise et amplifiée avec le remplacement des ARH par les ARS, en charge de développer une politique régionale de santé, englobant la médecine de ville et le médico-social. Les GHT ne seraient-ils rien d’autre qu’un recyclage de concepts anciens ? Pas tout à fait. C’est en réalité un tournant stratégique.

Relégation

Le discours de Marisol Touraine était significatif, moins par ce qu’elle a dit que par ce qu’elle n’a pas dit. Elle n’a pas dit un mot, pas fait une allusion aux Agences régionales de santé. De fait, la ministre de la Santé a enterré, sans fleurs ni couronnes, les ARS. Et, ce n’est pas un hasard car cet enterrement est inscrit, en creux, dans le texte de sa loi.

En effet, non seulement la création des GHT relève de l’initiative des hôpitaux et non des Agences mais, en plus, les Groupements décideront eux-mêmes de leur stratégie. Le pouvoir des ARS se limite à « prendre en compte l’ensemble des budgets des établissements du groupement hospitalier de territoire pour apprécier l’état des prévisions de recettes et de dépenses ainsi que le plan global de financement pluriannuel ».
De stratèges et planificateurs régionaux, les directeurs d’ARS sont relégués au rang d’aides- comptables…
Ironie de l’histoire, il y a un an encore, les Agences étaient destinées à détenir toutes les clés du pouvoir en matière d’organisation territoriale de la santé, non seulement en matière hospitalière mais aussi sur la médecine ambulatoire dont elle devait récupérer la tutelle au détriment de l’Assurance-maladie. Les premières versions de la future loi de modernisation de la santé indiquaient en effet que « Les conventions nationales prévoient, sous la forme d’un ou plusieurs contrats types, les modalités d’adaptation régionale des dispositifs visant à favoriser l’installation des professionnels de santé ». D’autre part, « le directeur général de l’Agence régionale de santé arrête l’adaptation régionale des contrats types nationaux, sous la forme de contrats-type régionaux », et « chaque professionnel de santé établi dans le ressort de l’agence peut signer un ou plusieurs contrats conformes à ces contrats types régionaux avec le directeur général de l’agence régionale de santé et le directeur de l’organisme d’assurance maladie désigné à cette fin par l’union nationale des caisses de l’assurance maladie ».
Finalement, les Agences n’ont pas obtenu la gestion du risque de la médecine de ville qui restée une chasse gardée de l’Assurance-maladie et ont perdu leur pouvoir sur le secteur hospitalier au profit des futurs GHT. Du coup, la question qui se pose est de savoir ce qu’il leur reste. Le temps de méditer sur les raisons de cette mise à l’écart.

Priorité au service public hospitalier

Et ces raisons sont nombreuses. La première est – paradoxalement – qu’elles ont globalement bien réussi la mission implicite qui leur était donnée. En effet, officiellement, les ARS avaient pour objectif de mettre en place des politiques régionales de santé répondant aux besoins de leur territoire. Mais, leur vraie mission était de restructurer le parc hospitalier à grands coups de fermetures de petits hôpitaux, de maternités à faible activité et de regroupements de services.
Ce temps est révolu. A un an de l’élection présidentielle, la ministre de la Santé a clairement indiqué qu’il fallait donner la priorité au renforcement du service public hospitalier…. Plus question de voir des défilés d’associations de patients avec élus locaux en tête protester contre la fermeture de la maternité du coin de la rue. Au fond, les ARS ayant fait le sale boulot, il faut passer à autre chose et tourner cette page ouverte par la droite.
De toute façon, les Agences régionales de santé n’étaient pas taillées pour être des stratèges, de par leur conception même. Pour avoir cette approche visionnaire et stratégique de la santé, il aurait fallu qu’elles aient été conçues comme des commandos avec une mission clairement définie. Il aurait fallu qu’elles soient des petites structures opérationnelles avec à leur tête des dirigeants issus du secteur privé.

Usine à gaz

En lieu et place de cette organisation dynamique, on a fait une réforme administrative à la française, c’est-à-dire une sorte d’usine à gaz empilant des structures préexistantes. Groupement d’intérêt public, les ARS ont repris sous leur coupe les anciennes administrations – DRASS, DDASS, URCAM, etc…- en espérant que par la magie d’un pilotage unique, ces services déconcentrés de l’Etat allaient passer d’un logiciel administratif à un logiciel évolutif. En outre, à quelques exceptions près, les directeurs d’Agences ont des profils classiques : directeurs d’hôpital, directeurs d’administration, DRASS, etc.
Tout cela ne pouvait évidemment pas déboucher sur une territorialisation et une approche régionale globale, d’autant que la médecine de ville et l’offre ambulatoire échappent à la tutelle des Agences. Comment ces dernières peuvent-elles, par exemple, résoudre la question des déserts médicaux dès lors que tous les paramètres de la démographie médicale leur échappent ?
Non seulement, les médecins ont la liberté d’installation sans aucun élément régulateur, mais en plus la création des Maisons médicales pluridisciplinaires – elles sont près de 1000 et le Premier ministre en souhaite 1500 – ne fait l’objet d’aucune planification.

Divorce entre ville et hôpital

Pas armée pour changer de paradigme, l’administration régionale a fait ce qu’elle sait le mieux faire : appliquer des ratios en rayant de la carte (sanitaire) les services et hôpitaux ne respectant pas les critères et les volumes d’activité. Les ARS sont aussi victimes – et c’est une autre raison – du redécoupage administratif qui a ramené à 13 contre 22 le nombre de régions métropolitaines. La taille des régions regroupées n’est pas nécessairement compatible avec une territorialisation hospitalière qui doit désormais intégrer le critère de proximité.
Enfin, la troisième raison est le poids des directeurs d’hôpitaux, notamment ceux des CHU qui appréciaient peu la tutelle tatillonne des ARS. A la tête de l’hôpital-pivot des GHT, ils vont redevenir « les rois du pétrole ».
Si cette nouvelle organisation permet d’obtenir le résultat attendu, la disparition virtuelle des ARS n’est en rien dramatique. Sauf qu’elle fait – en toute hypothèse – une victime collatérale mais importante : le système de santé. Les ARS permettaient, avec des moyens et des ambitions limités, de faire un peu le pont entre l’hôpital et la médecine de ville. Leur effacement marque la fin de toute approche globale. Entre des hôpitaux qui vont se regrouper et vivre de manière autarcique et une médecine de ville, échappant à toute règle régionale et toute approche territoriale, le divorce est consommé.
On n’a jamais autant parlé de médecine en réseau, de coordination ville-hôpital, d’approche globale et de rapprochement entre les acteurs. Mais, dans le même temps, la Muraille de Chine séparant la ville de l’hôpital n’a jamais été aussi épaisse.

Cherchez l’erreur.

http://pharmanalyses.fr/lenterrement-des-agences-regionales-de-sante/