fraudes et cash investigation

Madame,

Il est fort regrettable que nous ne nous soyons pas rencontrées lors de la préparation de votre reportage sur l’investigation des fraudes commises par les praticiens infirmiers libéraux auprès des Caisses de Sécurité Sociale.
Regrettable, effectivement, que vous ne puissiez pas approfondir d’autres aspects de ce problème, et les découvrir, afin d’en obtenir une image plus impartiale correspondant mieux à l’éthique de vos émissions.

Le syndicat Infin’idels, que je représente ici, est né d’une association de défense des praticiens infirmiers. Depuis plus de six années, notre mission première a été de comprendre la notion de fraude et d’aider les professionnels de santé face à ces procès à charge.
En six ans, nous avons aidé et sommes intervenus sur de très nombreux dossiers, nous avons acquis une grande expérience qui nous permet aujourd’hui de parler d’hypocrisie et d’affirmer la totale incompréhension des sujets de fond par des juges de tous tribunaux confondus.

Il est à espérer que votre travail d’investigation n’a pas été dicté par l’arrivée de feu Article 44 du PLFSS 2023, rétabli par l’amendement 515, concernant le calcul d’indu par extrapolation. Gardons crédible votre étonnement devant les chiffres de l’Assurance Maladie.

Le sujet des fraudes est vaste : nous resterons donc sur votre sujet de présentation : la situation du praticien infirmier libéral abusant de sa situation pour frauder une caisse sur de actes dispensés à des patients âgés et dépendants.
Cette phrase est déjà à elle seule un jugement et une condamnation. Nous y sommes habitués, elle est utilisée à chaque procès, largement employée dans des articles de journaux locaux, pour dénoncer le montant important d’une fraude ou escroquerie par un praticien infirmier.

 

Mais parlons hypocrisie :
Les services d’investigation de fraudes ont, à ce jour, fait exploser les dépenses des caisses en logiciels de contrôles de plus en plus performants, ainsi qu’en agents assermentés.
Or, nous n’avons toujours pas le ratio : dépenses / récupération d’indu pour fraude. Nous avons le montant initial : celui réclamé par les caisses, mais jamais le montant final : celui jugé par les Tribunaux.
Si nous nous en tenons à nos propres statistiques et notre expérience des dossiers, le montant d’un indu initial chute de plus de la moitié en fin de jugements.
Si l’on regarde également nos chiffres, sur tous nos dossiers, nous en avons refusé deux. Qui relevaient de l’escroquerie volontaire, ce qui correspondrait aux 0,05% chiffre national annoncé par la CNAM elle-même.
La forme de communication adoptée par les caisses via les médias, cache la brutalité des actions et termes employés dans ces procès à charge.

Nous ne nous étendrons pas sur les suicides perpétrés par cette brutalité, les dépressions, le procès maintenu malgré le décès de l’infirmière, les patients traumatisés par des audits d’agents assermentés agressifs, les quadruples procédures sur un même indu, les gardes à vue, la saisie des biens personnels, les drames familiaux que ceci engendre, l’interdiction d’exercer pour un litige administratif , interdiction européenne , sans parler bien sûr de la réputation entachée pour toute une profession.

Car de quoi parlons nous quand un praticien infirmier reçoit un indu pour fraude ?
Parlons d’un exemple sur la base de 80 000€ réclamés par la caisse.
Un contrôle s’effectue sur trois années d’activité passées ou cinq. Il est suivi de pénalités à hauteur de 50% de l’indu réclamé.
Un praticien infirmier libéral a obligation de soins sur 365 jours 24h sur 24. Il encaisse les honoraires et les reverse à ses remplaçants pour disposer de congés.
Nous avons donc 80 000€ et 1095 jours d’exercice si nous restons sur trois ans.
Nous avons donc un praticien infirmier libéral qui fraude goulument les caisses pour 73,05€/jour.
Ce chiffre nous indique quoi ?
Soit une ERREUR de facturation répétée, soit une contestation de la part de la caisse sur la nature de l’acte, soit l’absence d’ordonnance médicale correspondante, et ce, plus que la volonté délibérée de frauder.

Mais le piège est là, bien mené :
Chiffre d’indu important, caisse de sécurité sociale fraudée, soins à des personnes âgées et dépendantes : un triptyque médiatique gagnant.
La perversité de ces procès exposés ainsi, fait que par crainte, les praticiens infirmiers sous cotent leurs actes, refusent des prises en charge trop exposées aux contrôles, n’envisagent plus de poursuivre leurs carrières en libéral. Trop de contraintes administratives, trop de risques, chacun connaissant souvent un collègue ayant vécu la tourmente d’un procès.

 

Mais qu’en est-il en réalité ?
1/ Une Nomenclature des actes infirmiers composée de plus de cent actes découpant par tranches l’exercice infirmier, avec des règles de cumul ou de dégressivité offrant toutes latitudes à des erreurs
2/ La faculté pour les caisses de perdre une quantité impressionnante d’ordonnances ou de demandes de prise en charge. Un archivage problématique.
3/ La facilité avec laquelle les caisses estiment les praticiens infirmiers responsables de la mauvaise rédaction d’une ordonnance médicale. A ce titre, sachez que « soins tous les jours » n’a aucune valeur au regard d’un agent contrôleur. Seul le terme « dimanche et jours fériés inclus » autorise à majoration. « Rigoureusement quotidien et impérativement de nuit » étant le must d’une rédaction médicale. Les caisses ont d’ailleurs travaillé sur la plateforme AMELI un mémo à l’intention des médecins pour qu’ils sachent rédiger une ordonnance de soins infirmiers : nous en sommes là !
Vous avez là les grandes lignes des fraudes moyennes que nous défendons régulièrement. Car dans aucun courrier le mot erreur est employé.
Fraude : acte qui a été réalisé en utilisant des moyens déloyaux, destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l’intention d’échapper à l’exécution des Lois.

Hypocrisie, oui, nous l’affirmons, car plutôt que de faire le procès d’un système de facturation totalement opaque, il est préférable de faire le procès de praticiens infirmiers libéraux.

 

Parlons de l’incompréhension des juges
Aucun juge, tous tribunaux confondus, ne comprend le fond des dossiers.
La caisse se contente d’affirmer que telle facturation d’acte ne respecte pas l’article « XY » de la Nomenclature Générale des Actes Professionnels. Elle bénéficie au sein du Tribunal de sa bonne réputation et d’une référence de texte d’une nomenclature interprétable.
Le praticien infirmier, en position de fraudeur, n’a que son avocat pour expliquer un acte ou une prise en charge.
Les juges préfèrent les textes !
Un exemple concret ? Un juge du pénal recherche la faute. Qui a écrit sur l’ordonnance médicale, (acte illégal), pour en modifier le contenu ? Prescription médicale ou le médecin a oublié un examen. Le praticien infirmier rajoute cet examen afin d’éviter à son patient deux prélèvements sanguins.
Pénalement coupable, inscription sur le casier judiciaire, ce qui impose une radiation du Conseil de l’Ordre infirmier donc une interdiction d’exercer.
Nous parlions de brutalité ? Cet exemple est loin d’être rare. De nombreux blogs d’information d’avocats accréditeront mes dires.

La finalité de ces jugements modifie les accords conventionnels et rend la situation de tarification et facturation ubuesque.
Deux exemples ? La notion de temps dans les soins.
Sachez que les caisses reconnaissent l’acte AIS à la condition que soit respecté le temps de 30 minutes de présence au chevet du patient. Mais si le praticien infirmier reste 35 minutes la caisse lui reconnait 2 actes AIS. Plus précisément et sur décision de justice : 20 minutes ce n’est pas un acte AIS, 35minutes sont 2 actes AIS…. Parce que des jugements contradictoires ont créé cette situation.
Une perfusion de plus ou moins une heure. A l’apparition de ce nouvel intitulé sur la nomenclature le syndicat Infin’idels a fait valoir auprès du Conseil d’Etat que toute heure commencée était due.
En Absurdie tout devient compliqué !

 

En réalité sur le terrain
La profession de praticiens infirmiers libéraux est la dernière à se déplacer aux domiciles des patients en ayant la possibilité de passer quatre fois par jour au chevet des malades.
Elle assure plus d’un million d’actes journaliers.
Il n’existe aucun procès de plainte des patients pour mauvais soins.
Aucun évènement graves en suivi de soin signalé auprès de la Haute Autorité de Santé.
La profession a prouvé son efficacité lors de l’urgence sanitaire, il serait même très intéressant d’évaluer son action qui a permis, contrairement à d’autres pays européens, de protéger l’hôpital public et son engorgement, participant ainsi à la baisse de la mortalité.

 

Enfin on peut se poser la question de pourquoi un tel renforcement des contrôles ?
Car, enfin il existe des moyens plus simples. Entre autres, les transmissions d’honoraires se font au moyen de logiciels validés par la CNAM. En interrogeant la Fédération qui les regroupe, nous avons été convaincus que des possibilités existent, de blocage de transmissions incorrectes ne correspondant pas aux accords conventionnels. Alors, pourquoi ce renforcement de contrôles allant jusqu’à l’extrapolation ?
Une volonté délibérée de maintenir des lignes comptables à la baisse malgré le vieillissement de la population et le virage ambulatoire ?
Les praticiens infirmiers libéraux sont des donneurs d’ordre au travers du tiers-payant avec une augmentation évidente des soins à domicile. Augmentation qui se doit d’être canalisée ? Pas en frontal ce qui aurait un impact sur l’opinion publique, de façon plus discrète par le biais de contrôles et de fraudes.
Une justification des comptes déficitaires des caisses qui peuvent afficher les montants des fraudes sur leurs bilans ?
La promotion des postes à responsabilité au vu des bons résultats d’investigation ?
Toutes peuvent être ajoutées au refus de revoir un système de facturation devenu ingérable.
Mais peut-être n’y a-t-il pas de logique à tout ceci, juste l’emballement d’un système à bout de souffle.

Nous nous posons une dernière question : qu’en est-il de la participation forfaitaire annuelle de l’assuré pour un montant de cinquante euros ? Est-elle remboursée aux assurées par les caisses lors de la récupération d’indu ? Ou tout simplement oubliée ?
Car au commencement, c’est bien l’argent des cotisations de chaque assuré dont les caisses ont pour mission de garantir la gestion.
Assurés qui ne se plaignent ni de la qualité des soins, ni du dévouement des soignants.
Assurés qui redoutent un désert infirmier couplé à un désert médical. Assurés qui souhaitent au contraire un élargissement des compétences infirmières

 

Les praticiens infirmiers libéraux devront ils rompre leurs accords conventionnels pour être au plus près de leurs patients et exercer plus sereinement ?
Cette question, tabou il y a encore quelques années, devient de plus en plus pressante actuellement.

Bien à vous
Michelle Drouin
Présidente Infin’idels

Service relation : Syndicat infin’idels contact@infinidels.com Tél : 07 80 96 26 09

 

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